Quelles innovations pour une pêche durable ?

Quelles innovations pour une pêche durable ?

Traquer l’ADN des poissons dans l’eau, augmenter le maillage des filets, repousser les prises accessoires avec des LED… Chercheurs et pêcheries se penchent sur les solutions du futur.

Le secteur de la pêche n’a plus vraiment le choix : il est temps de faire autrement. Même si la pression a fortement diminué depuis les années 2000-2010, moins de la moitié des volumes de poissons capturés en France provient de populations exploitées durablement (contre 15 % en 2000), selon le dernier bilan publié par l’Ifremer (janvier 2020). « A l’échelle mondiale, la pression est de plus en plus forte sur les ressources halieutiques et la restauration des populations peut prendre plusieurs années, diagnostique François Houllier, PDG de l’Ifremer. Il existe de nombreuses mesures de protection efficaces : réduction de la flottille, du nombre de jours de pêche autorisés ou fermeture de certaines zones. Mais il y a toujours un moment délicat à passer pour la profession avec un manque à gagner. La nature ne répond pas immédiatement à la politique, ni au temps économique. »

Changer les pratiques des pêcheries implique donc de trouver des compromis et de mettre tous les acteurs autour de la table. A la station de l’Ifremer de Lorient, au pôle de recherche science et technologie halieutiques, « tous les projets démarrent par un brainstorming entre les chercheurs et les pêcheries, et sont testés sur des bateaux professionnels, assure Pascal Larnaud, responsable de la station. L’objectif est que nos innovations soient directement applicables et qu’à terme, les pêcheries disposent d’une boîte à outils pour diminuer leur impact sur les milieux. »

Du côté de l’association interprofessionnelle France Filière Pêche (FFP), qui rassemble tous les acteurs de la filière, l’effort d’innovation pour faire évoluer les pratiques représente 3 à 4 millions d’euros de budget par an. « La recherche est le point central pour une activité nourricière durable, détaille Pierre Leenhardt, directeur R&D chez FFP. Depuis huit ans nous avons cofinancé 150 projets de recherche, menés en partenariat avec les pêcheurs, dont la moitié environ qui étaient portés par l’Ifremer. »

1. Améliorer la connaissance des espèces disponibles

Cela paraît invraisemblable mais 23 % des populations de poissons pêchées en France ne sont ni classifiées, ni évaluées, selon l’Ifremer. Cela signifie que le niveau actuel de connaissances ne permet pas de fixer des seuils de durabilité (c’est le cas pour la sardine de la Manche ou les roussettes) ou bien qu’aucune mesure de gestion n’a été mise en place (le cas pour les coques, la dorade grise ou encore le maigre). « Le nombre d’espèces non classifiées ni évaluées a sensiblement diminué au cours des dernières années. L’évaluation de ces populations et de leur dynamique de renouvellement est un sujet essentiel car, quelles que soient les innovations dans les techniques de pêche, c’est la quantité pêchée qui reste le premier facteur de leur durabilité », alerte François Houllier.

De récents travaux de recherches, menés par les équipes de l’Ifremer, offrent de nouvelles perspectives pour améliorer les comptages grâce à la méthode de l’ADN environnemental. En effet, les organismes marins laissent des traces d’ADN dans l’eau de mer sur leur passage. Demain, il serait possible à partir d’un simple échantillon d’eau d’identifier les espèces présentes dans un milieu et la densité de population. Les premiers tests pour le merlu viennent de démarrer à bord du navire océanographique Thalassa. « Cela permettrait d’avoir des données plus complètes et d’alléger les campagnes halieutiques scientifiques que nos équipes réalisent », poursuit François Houllier.

Le « Thalassa », navire océanographique de l’Ifremer, en campagne d’évaluation.

2. Laisser le temps aux populations de se reproduire

La solution paraît presque trop facile. Il suffirait d’augmenter le maillage des filets de pêche pour permettre aux poissons les plus jeunes de s’échapper et assurer ainsi un renouvellement des stocks. Et même d’augmenter les rendements des pêcheries à moyen terme. « Indiscutablement, la gestion des maillages, des tailles minimales légales, ou plus généralement de ce qu’on appelle la “sélectivité des engins de pêche”, ouvre des perspectives considérables », estime Didier Gascuel, directeur du pôle halieutique à l’Agrocampus de Rennes, dans son livre Pour une révolution dans la mer, de la surpêche à la résilience (Actes Sud).

En ligne de mire : la pêche au chalut, un filet en forme d’entonnoir pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres carrés en ouverture frontale et qui reste aujourd’hui la technique la plus répandue en Europe, et plus particulièrement en France. La pêche au chalut a le gros défaut d’attraper tout sur son passage, y compris les juvéniles, condamnant ainsi le renouvellement des populations. Dans une étude commandée par la région Bretagne en 2011, le pôle halieutique d’Agrocampus Ouest avait calculé qu’une simple augmentation de maillage permettrait d’augmenter le potentiel de captures de 25 % pour le merlu, de 33 % pour la morue de mer Celtique, et de presque 50 % pour la langoustine du golfe de Gascogne.

Ces dernières années, un système de mailles carrées et non en losanges, baptisé T90, a ainsi été mis au point par les chercheurs de l’Ifremer. Une solution simple qui a été inventée dès les années 90. « Nous l’avions étudié en 2008, initialement pour réduire l’utilisation de carburant, détaille Pascal Larnaud, de la station de Lorient. Nous avions vu que ce système était extrêmement sélectif et nous avons décidé avec les professionnels de la filière d’approfondir les recherches en 2013, avec la mise en place de l’obligation de débarquement dans le cadre de la politique commune de la pêche. »

Cette réforme impose en effet aux professionnels de ramener à quai toutes les espèces soumises à quota. L’objectif étant d’éviter le gaspillage des rejets en mer des poissons non voulus et de pousser les opérateurs à mettre en place des techniques de pêches plus sélectives. Après une période d’adaptation, l’obligation de débarquement a été rendue obligatoire par tous les pays européens depuis le 1er janvier 2019. Aucune donnée n’est disponible sur le taux d’équipement des pêcheries avec des filets T90, mais « de plus en plus de bateaux en sont équipés en mer Celtique et en Bretagne en particulier », estime Pascal Larnaud.

3. Repousser les espèces dont on ne veut pas

C’est l’autre versant de la sélectivité. « De plus en plus, notre métier est basé sur l’observation des espèces et la compréhension de leurs comportements. Ces données vont nous permettre de mieux définir les techniques pour repousser certaines espèces », détaille Pascal Larnaud, qui vient de recruter un éthologue dans son équipe technologique. Dans le bassin de Lorient, les chercheurs ont réalisé des tests avec des LED de couleur verte pour repousser le merlan. « L’objectif est d’inciter les espèces dont on ne veut pas à s’échapper des mailles du chalut », poursuit le chercheur. Les premiers tests sur des engins de pêche en situation réelle sont actuellement en cours.

Une autre équipe du centre de l’Ifremer, dirigée par Julien Simon, utilise un système d’analyse d’images, couplé à de l’intelligence artificielle, qui permet d’identifier en temps réel les espèces qui entrent dans l’engin de pêche. Ce projet, baptisé « Game of Trawls » (« chaluts » , en anglais), permettrait ainsi aux pêcheurs de détecter la présence en trop grandes quantités de « captures accessoires », comme les dauphins ou les bars, et d’actionner un dispositif pour les laisser s’échapper ou bien de changer de zone de pêche. « Ces systèmes d’analyse d’image vont pouvoir s’appliquer rapidement dans les eaux claires. Mais il faudra certainement dix ans pour avoir des capteurs numériques suffisamment sensibles et généraliser l’utilisation de cette technique », estime Pascal Larnaud.

Tests dans le bassin de Lorient de l’Ifremer sur les chaluts lumineux.

4. Diminuer l’impact des chaluts sur les fonds marins

En plus d’avoir le défaut d’être peu sélectif, le chalut nécessite l’utilisation de grands panneaux métalliques, pouvant peser plusieurs tonnes chacun, pour le traîner sur le fond (chalut de fond) ou le stabiliser entre deux eaux (chalut pélagique). « Pendant des années, ces panneaux n’ont pas du tout évolué, détaille Pierre Leenhardt de France Filière Pêche. Or ce sont eux qui ont le plus d’impacts sur les habitats, car ils vont racler le fond. C’est aussi la principale source de résistance de traction qui va jouer sur la consommation de carburant du bateau. »

L’Ifremer a ainsi développé un prototype de panneau à faible impact en partenariat avec l’équipementier Morgère et financé pour partie par France Filière Pêche. Les chercheurs ont montré que le panneau Jumper, plus léger, remet en suspension 3 à 10 fois moins de sédiments qu’un panneau classique dernière génération.

« Des progrès sont obtenus et il faut s’en féliciter, estime Didier Gascuel dans son livre. C’est autant d’impact en moins pour les écosystèmes, et de durabilité gagnée pour les pêcheurs. Pourtant, il faut le dire franchement : à long terme, améliorer ne suffira pas. Quoi qu’on fasse, traîner un engin sur le fond est et restera globalement peu sélectif, fortement consommateur de gasoil et impactant pour l’habitat. »

5. Revenir à des techniques ancestrales

Les instituts de recherche travaillent ainsi sur les engins de pêche du futur en revenant à des techniques anciennes, comme les nasses à poissons pour le rouget et la daurade grise. Un projet en cours à l’Ifremer étudie le comportement alimentaire et le processus de capture de ces espèces pour optimiser l’utilisation de ces pièges, beaucoup moins impactants sur les milieux. L’utilisation de matériaux biodégradables pour la conception des nasses est également envisagée.

François Houllier, PDG de l’Ifremer, et Pierre Leenhardt, directeur R&D de France Filière Pêche, interviendront à Novaq, le Festival de l’innovation en Nouvelle-Aquitaine, lors de la table ronde « Quels outils pour une pêche durable ? » le 30 octobre à 11 h 30.

Les 29 et 30 octobre 2020, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers à l’espace Encan, à La Rochelle. Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de quatre grands thèmes : l’agroécologie, l’océan, l’énergie et la santé.

L’économiste Julia Cagé, le président directeur général de Thalès Patrice Caine et la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury seront les invités d’honneur de cette édition, qui aura pour fil rouge l’innovation pour mieux vivre.